La montée de l’extrême droite n’est pas étrangère à la prolifération de la désinformation sur les réseaux sociaux. Depuis plusieurs années, la manipulation de l’information a pris une place prépondérante dans la sphère publique, souvent orchestrée par des puissances étrangères, mais aussi par des acteurs nationaux, qui y voient un moyen efficace de manipuler l’opinion publique. L’ingérence étrangère dans le processus électoral ne date pourtant pas d’hier, mais à l’ère des réseaux sociaux, elle s’avère redoutablement efficace pour faire dérailler la démocratie.
Il suffit de jeter un coup d’œil au sud de la frontière canadienne pour comprendre à quel point la désinformation a réussi à polariser la population. L’élection présidentielle américaine de 2024 risque d’atteindre des sommets en termes de désinformation, d’autant plus que les outils d’intelligence artificielle permettent de créer du contenu trompeur à une vitesse fulgurante. Des sites de désinformation, entièrement générés par l’IA, voient le jour dans l’unique but d’influencer le vote des Américains en faveur de Donald Trump. Pour lui, le mensonge est devenu une réalité alternative à laquelle de nombreux électeurs adhèrent aveuglément.
Le leurre est devenu tel qu’une armée de soldats numériques attaque quiconque ose critiquer le candidat au teint orangé. Ce régiment, trempé dans la désinformation, vomit sa haine sur les différentes plateformes de réseaux sociaux, propageant ce monde parallèle dont ils sont désormais citoyens. Quelques minutes passées sur X (anciennement Twitter) suffisent pour constater à quel point le phénomène est désolant, mais surtout inquiétant. Bien que risible aux premiers abords, cette haine, alimentée par la désinformation, a pour unique but de faire basculer la démocratie telle que nous la connaissons.
Le monde parallèle dans lequel évoluent ces partisans est devenu si intense que, même si Trump, le désinformateur en chef, est reconnu coupable par un jury dans l’affaire Stormy Daniels – une sombre histoire d’argent pour étouffer un scandale avec une actrice porno avant l’élection de 2016– ses adeptes continuent de le défendre bec et ongles. Comment en sommes-nous arrivés là ? La réponse réside dans la nature même de la désinformation.
Les fausses nouvelles se propagent rapidement
Il est prouvé scientifiquement que les fausses nouvelles se propagent beaucoup plus rapidement que les vraies. Elles se propagent plus vite parce qu’elles suscitent des réactions émotionnelles fortes telles que la colère, la peur ou l’indignation. Ce flot émotionnel incite les gens à partager rapidement, sans prendre le temps de valider la véracité de l’information. La fausse nouvelle apporte souvent une réponse simple à une situation complexe, ce qui la rend encore plus attrayante. Les réseaux sociaux, dont l’engagement est le pain et le beurre, sont le terreau parfait pour ce type de contenu.
Les médias traditionnels en partie responsables
Depuis l’élection de Trump en 2016, les médias traditionnels sont malmenés par le camp républicain. En créant un narratif où les médias traditionnels sont dépeints comme faisant partie de l’élite corrompue, Trump a réussi à faire chuter la confiance envers ce qui était jusqu’alors considéré comme le quatrième pouvoir de la démocratie. Cette méfiance permet aux fausses nouvelles de se propager encore plus librement, rendant le travail des vérificateurs de faits de plus en plus difficile.
Il est crucial de souligner que les médias traditionnels jouent un rôle dans la dérive actuelle, notamment en s’efforçant de toujours équilibrer les choses, même quand il n’y a pas lieu de le faire. Prenons l’exemple du débat entre Biden et Trump en juin dernier. Trump a menti plus de 30 fois, et pourtant, les médias ont choisi de minimiser l’importance de ces mensonges, préférant s’acharner sur les moindres détails concernant Biden, comme une confusion de noms ou une phrase mal formulée. Cette volonté de maintenir une fausse équivalence entre les deux candidats est non seulement trompeuse, mais dangereuse. Trump, candidat à la présidence de l’une des plus grandes puissances mondiales et voisin du Canada, peut dire ou faire n’importe quoi sans que cela suscite la moindre réaction significative de la part des journalistes. Mentir est devenu le « pain et le beurre » de la droite, et les médias, en fermant les yeux sur cette réalité, contribuent à normaliser ce comportement. Cet acharnement médiatique a finalement eu raison de Biden, qui a choisi de se retirer de la course, laissant sa place à Kamala Harris. Cette indulgence pour Trump lui confère une sorte d’immunité de la part des médias traditionnels.
Les jeunes vulnérables à la désinformation
Les jeunes sont particulièrement vulnérables à cette vague de désinformation, car ils s’informent de moins en moins via les médias traditionnels et se tournent principalement vers les réseaux sociaux pour obtenir des nouvelles. Des plateformes comme TikTok, Instagram, et X (anciennement Twitter) sont devenues leurs principales sources d’information, mais elles sont aussi des terrains fertiles pour la propagation de fausses nouvelles. Contrairement aux médias traditionnels, où les informations sont généralement vérifiées avant publication, les réseaux sociaux permettent la diffusion instantanée de contenus sans aucun contrôle éditorial. Cette réalité expose les jeunes à une quantité massive de désinformation, qu’ils consomment souvent sans esprit critique. Aujourd’hui, la propagation de fausses informations est devenue si facile que les usines à trolls russes, qui avaient joué un rôle clé en 2016, n’ont plus à fournir autant d’efforts. La machine républicaine, ayant appris de ses erreurs passées, a monté une véritable usine à propagande bien huilée qui cible spécifiquement les jeunes générations, exploitant leur dépendance aux réseaux sociaux pour influencer leur perception du monde.
Qu’est-ce qu’une usine à trolls ?
Une usine à trolls est une organisation dédiée à la propagation de fausses informations et à la manipulation de l’opinion publique, souvent via les réseaux sociaux. Les employés, ou « trolls », créent et diffusent de faux profils, publient des commentaires polémiques et partagent des contenus fabriqués pour semer la discorde et influencer les perceptions.
L’Internet Research Agency (IRA)
L’IRA, basée à Saint-Pétersbourg, est l’exemple le plus connu d’usine à trolls. Financée par des proches du Kremlin, elle a mené des opérations de grande envergure pour influencer les électeurs américains. Les méthodes utilisées comprenaient :
- Création de Fausse Identités : Les trolls créaient de faux profils sur des plateformes comme Facebook, Twitter et Instagram. Ces profils se faisaient passer pour des citoyens américains ordinaires, des groupes d’intérêt ou des médias locaux.
- Contenus Polarisants : L’IRA partageait des contenus conçus pour attiser les tensions raciales, politiques et sociales. Par exemple, ils ont organisé des manifestations en ligne et physiques, parfois en encourageant des groupes opposés à se confronter.
- Publicités Ciblées : Des milliers de publicités payantes ont été achetées sur les réseaux sociaux pour toucher des publics spécifiques et amplifier les divisions.
Lors de la campagne américaine de 2016, les fermes à Troll russes ont diffusé de fausses informations à propos de la candidate démocrate Hillary Clinton afin d’influencer l’opinion des électeurs. Des publicités très ciblées sur les réseaux sociaux ont réussi à convaincre certains électeurs démocrates de ne pas aller voter ce qui a permis aux républicains de remporter certains bastillons traditionnellement démocrates.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Donald Trump a fait volte-face dans sa position sur TikTok. Comprenant le potentiel de la plateforme pour atteindre les jeunes électeurs, sa campagne a su l’exploiter pour propager ses messages, souvent teintés de désinformation. La pandémie de COVID-19 a joué le rôle de catalyseur, servant de cheval de Troie pour la désinformation, facilitant son adoption par un public déjà enclin à la méfiance.
L’ingérence russe lors de l’élection américaine de 2016 a permis à Donald Trump de prendre le pouvoir, avec des conséquences dévastatrices sur les institutions politiques et légales à travers le monde. Aujourd’hui, les mêmes forces cherchent à déstabiliser la démocratie, à travers des usines à trolls et des campagnes de désinformation toujours plus sophistiquées.
Intelligence artificielle et Deep Fakes
Avec le retrait de Joe Biden de la course, la stratégie du clan Trump se tourne désormais vers Kamala Harris. Donald Trump n’hésite pas à partager régulièrement sur Truth Social des images générées par l’intelligence artificielle pour attaquer la vice-présidente. Récemment, Elon Musk a partagé sur X une vidéo de Kamala Harris avec une voix générée par l’IA, utilisée pour se moquer de la vice-présidente. Bien que la vidéo elle-même ne soit pas un deepfake, l’audio falsifié a suscité un débat intense sur la liberté d’expression et les dangers des manipulations audio dans le contexte des élections de 2024. Certains défendent cette vidéo comme une parodie légitime, tandis que d’autres soulignent le risque de tromper les électeurs et propager de la désinformation, appelant à une réglementation plus stricte des contenus manipulés par l’IA.
Twitter, désormais sous la direction d’Elon Musk et rebaptisé X, est devenu un outil de désinformation encore plus puissant grâce à l’introduction de l’IA Grok-2. Cette intelligence artificielle, développée par l’entreprise de Musk, est capable de générer du texte et des images d’un réalisme saisissant, sans aucune forme de censure. Grok-2 est redoutablement efficace, produisant du contenu qui peut être aussi provocateur que les publications de son créateur. Cette technologie permet de diffuser des messages subtils ou explicites, renforçant la polarisation et la désinformation sur la plateforme. En permettant la création de contenu manipulé à une échelle et une vitesse inédites, Musk et son IA Grok-2 contribuent à un environnement en ligne où la frontière entre la vérité et le mensonge est de plus en plus floue.
Comment en sommes-nous arrivés là ? La réponse est complexe, mais une chose est certaine : la désinformation a tissé sa toile dans les moindres recoins de notre société. Elle sape les fondements mêmes de la démocratie, exploitant nos peurs, nos colères, et notre soif de certitudes dans un monde de plus en plus incertain. Tant que cette arme silencieuse continuera de proliférer, la vérité sera de plus en plus difficile à discerner, et avec elle, notre capacité à prendre des décisions éclairées. La démocratie, ce fragile équilibre basé sur un échange ouvert et honnête, se trouve aujourd’hui à un carrefour dangereux. Le choix est désormais entre la vigilance collective ou le chaos informationnel. L’avenir de notre société dépendra de notre capacité à distinguer le vrai du faux, à refuser les manipulations, et à protéger les principes mêmes qui permettent à la démocratie de prospérer. Si nous échouons, ce ne sont pas seulement les institutions qui vacilleront, mais la confiance qui les soutient.