Connaissez-vous le film Idiocratie? Une comédie de science-fiction qui, à sa sortie en 2006, n’avait rien pour marquer l’histoire du cinéma. Pourtant, ce film est d’une intelligence inattendue : une satire où les valeurs intellectuelles disparaissent, remplacées par la consommation et la bêtise. Idiocratie présente un futur grotesque où l’anti-intellectualisme règne, les gens préfèrent le divertissement à la raison, et le système est dominé par des marques qui écrasent tout esprit critique.
Quand on regarde ce qui se passe chez nos voisins du sud, difficile de ne pas y voir des échos troublants. Cette victoire de Trump rappelle étrangement ce monde où tout est affaire de slogans, de spectacles et de manipulation des masses. Trump n’a pas seulement battu ses opposants; il a surfé sur une vague de peur et de désinformation pour conquérir un électorat souvent peu éduqué, désabusé et prêt à croire ce qu’on lui sert. Avec cette élection, ce ne sont pas juste les Américains qui y perdent, mais aussi tout le monde autour.
Car Trump peut dire merci à la Cour suprême pour lui avoir permis de retarder ses procès. Grâce à ses avocats et au système, les accusations criminelles qui l’entourent ont été repoussées juste assez pour lui permettre de remporter ces élections. Et le pire, c’est que ça fonctionne : voilà un homme sous enquête, accusé de fraudes et de manipulations, réélu par une Amérique qui ferme les yeux et se satisfait de discours populistes.
On peut aussi dire merci à l’architecture de ce système électoral dépassé. Quand un vote en milieu rural pèse plus lourd qu’un vote en ville, il y a de quoi se poser des questions. Trump a bien compris comment jouer avec ce vieux système, en attirant ceux qui se sentent laissés pour compte, ceux qui croient à la facilité de ses promesses économiques. Il leur promet monts et merveilles, mais derrière ses discours, il n’a rien de concret, rien d’autre que des slogans creux.
On pourrait blâmer les médias traditionnels qui, cette fois encore, n’ont pas su faire leur travail. Ces médias ont cette fâcheuse tendance à assainir les discours de Trump, à chercher un faux équilibre entre les deux partis, s’assurant de ne laisser rien au hasard pour critiquer les démocrates, alors que les républicains pouvaient se permettre toutes les excentricités. Souvenons-nous de cette histoire scandaleuse propagée à Springfield, Ohio, sur les Haïtiens qui mangeraient des chats et des chiens : une rumeur sans fondement, à peine remise en question par certains médias, alors qu’elle n’était qu’un reflet des préjugés alimentés par une désinformation bien orchestrée.
Les médias traditionnels ont ainsi manqué le bateau, incapable de mettre en lumière les véritables enjeux, tandis que la victoire flagrante est revenue aux réseaux sociaux et aux fausses nouvelles. Pendant ce temps, Trump s’est servi de géants comme TikTok pour diffuser une quantité ahurissante de fausses informations. Dans cette campagne, il n’a pas vendu de vérités, mais des perceptions : l’économie américaine, en pleine santé, est pourtant perçue comme en déclin par une population qui s’informe à coup de statuts Facebook et de courtes vidéos. Et Trump en a profité pour se présenter comme le sauveur économique, alors que ses politiques sont loin d’être la solution.
Cette élection n’est pas seulement une victoire pour Trump, mais aussi une main tendue à Poutine. Trump, qui se vante de pouvoir ramener la « paix », pourrait bien, sous couvert de diplomatie, abandonner l’Ukraine et la laisser tomber entre les mains russes. Et les Américains, captivés par leurs soucis économiques immédiats, ne voient pas la portée de cette possible trahison.
Et comme si ce n’était pas assez, Trump se retrouve avec tous les pouvoirs : la présidence, le Sénat, le Congrès, et une Cour suprême entièrement en sa faveur. Pour nous, ici au Canada, les conséquences risquent d’être lourdes. Le jour où Poutine voudra étendre ses ambitions vers le Grand Nord, croyez-vous vraiment que Trump se tiendra aux côtés du Canada? Et que fera-t-il des immigrants qu’il veut expulser? Les larguer au Canada ou au Mexique?
Dans ce discours de victoire, Trump a promis de « guérir l’Amérique », de redonner à son pays une « époque dorée ». Pourtant, cette promesse sonne faux. C’est un masque de rassemblement qui cache une division bien ancrée. Pour nous, observateurs de ce côté-ci de la frontière, il est difficile de ne pas se sentir inquiet. L’histoire nous a déjà montré où peuvent mener les idéologies populistes et le rejet de la vérité. Le monde est à l’aube d’un changement profond, et il semble que peu de gens mesurent réellement les conséquences de cette élection.
Noyer la vérité dans une mer de mensonge
C’est là tout le paradoxe. Trump, qui traîne une montagne de scandales, d’accusations criminelles et de procès en cours, aurait du mal, en théorie, à passer une vérification d’antécédents pour un emploi de base, comme travailler à la friteuse chez McDo. Et pourtant, il accède à la plus haute fonction du pays.
Comment expliquer cet appui massif malgré ce lourd passé judiciaire? D’abord, il y a la perception, souvent fabriquée, qu’il est une victime d’un système corrompu. Trump a su, depuis des années, se présenter comme un « outsider » et un homme du peuple, quelqu’un qui « dérange » les élites, malgré sa propre richesse et ses privilèges. Beaucoup voient en lui un rebelle qui combat pour les « vrais » Américains, un homme capable de « dire les choses comme elles sont » sans détour. Son langage direct et provocant, son mépris pour le politiquement correct, tout cela résonne auprès d’un électorat qui se méfie des institutions.
À cela s’ajoute la puissance de la désinformation. Les réseaux sociaux ont joué un rôle colossal dans sa campagne, lui permettant de contourner les médias traditionnels et de s’adresser directement à son public. Sa stratégie : entretenir une réalité parallèle, où il n’est pas l’accusé, mais la victime d’un système pourri. Et ça marche. Les électeurs qui consomment principalement de l’information via les réseaux sociaux sont bombardés de fausses nouvelles, de théories conspirationnistes et de rumeurs qui visent à discréditer ses adversaires et les institutions. L’image de « l’homme persécuté par l’establishment » fait mouche.
Sur le plan économique, Trump est parvenu à faire croire qu’il est le meilleur choix pour redresser l’économie, même si ses mesures sont floues ou inexistantes. Il exploite habilement les angoisses économiques, surtout face à l’inflation, en martelant qu’il est celui qui peut « ramener l’Amérique à sa grandeur ». Pour beaucoup, cette promesse suffit, et peu importe les preuves de ses méfaits personnels ou ses procès, car l’espoir d’une relance économique immédiate et la peur de l’avenir priment.
Le mythe du mytomane en chef !
Les Américains qui votent pour Trump ne voient pas un criminel, mais un « patriote » persécuté, un « homme d’affaires » brillant et capable de déjouer le système. Ils ont été convaincus non par des faits, mais par une illusion parfaitement entretenue d’un « sauveur » rebelle.
L’examen de conscience des Démocrates
Les démocrates, eux, doivent maintenant faire un examen de conscience. Malgré la défaite, on peut dire que Kamala Harris a mené une campagne plutôt solide. Elle a bien défendu les valeurs de son parti, mais la puissance de la machine démagogique de Trump a fini par écraser ses efforts. Cependant, la décision de Joe Biden de briguer un second mandat, malgré son âge avancé et une santé en déclin, a certainement affaibli la position des démocrates. En s’entêtant à rester en course, Biden a en quelque sorte tiré dans le pied de son propre parti, qui n’a pu véritablement lancer sa campagne que dans les cent jours précédant l’élection. À moins d’un candidat d’exception, un phénomène à la Barack Obama, les démocrates semblaient destinés à perdre dès le départ.
La décennie 2020 a débuté dans le chaos. Une pandémie mondiale, suivie de vagues de désinformation et de propagande, a mené à une société de plus en plus divisée. Cette fracture, alimentée par une inflation mondiale qui agit comme une pression constante sur le quotidien des gens, pousse une grande partie de la population à chercher une sortie, une solution, n’importe laquelle. Ce climat rappelle étrangement les années 1930, où la crise économique a ouvert la voie au fascisme en Allemagne. Bien sûr, malgré tous ses défauts, Trump ne semble pas être du même calibre que Hitler, et on ne s’attend pas aux mêmes atrocités. Toutefois, le culte de la personnalité qui entoure Trump reste un parallèle troublant. Pour ses partisans, Trump est vu comme étant un leader qui fascine, divise, et qui s’impose comme un « sauveur » aux yeux d’une partie de la population.
Les démocrates, quant à eux, doivent réfléchir à leur approche et à leur message s’ils veulent regagner la confiance d’un électorat qui semble prêt à tout pour s’en sortir.
La victoire de Trump est un signal d’alarme, non seulement pour l’Amérique, mais pour l’ensemble du monde. Elle révèle une société en crise, prête à se tourner vers des solutions simplistes et des figures autoritaires sous l’effet combiné de la désinformation et de la frustration économique. Tandis que les démocrates méditent leur défaite et envisagent leurs prochains mouvements, les effets de cette élection s’étendront bien au-delà des frontières américaines. Pour tous, il est urgent de prendre conscience des dangers de l’anti-intellectualisme et du culte de la personnalité qui façonnent aujourd’hui notre monde politique.