Le compte à rebours est lancé pour TikTok aux États-Unis. L’application de vidéos courtes, adorée des jeunes générations, pourrait être bannie du territoire américain dès le 19 janvier. Une date hautement symbolique : la veille de l’investiture de Donald Trump, premier président de l’histoire des États-Unis à monter sur le podium avec un casier judiciaire. Ce contexte explosif fait de TikTok une pièce centrale dans le grand échiquier politique et technologique, où des intérêts financiers et idéologiques se croisent dangereusement.
Trump, autrefois fervent partisan de l’interdiction de TikTok en 2020, a récemment changé son fusil d’épaule, promettant de sauver l’application. Une volte-face qui pourrait bien être influencée par Jeff Yass, milliardaire, cofondateur de Susquehanna International Group et détenteur d’une participation de 15 % dans ByteDance, maison mère de TikTok. Yass, qui figure aussi parmi les grands donateurs du Parti républicain, est un allié stratégique de Trump. Susquehanna, par ailleurs principal actionnaire institutionnel de Truth Social (réseau social de Trump), joue un rôle pivot dans cette dynamique, où intérêts privés et pouvoir politique se mêlent intimement.
Les oligarques de la tech : les nouveaux bras armés de la droite
Dans ce paysage, Elon Musk n’est pas une anomalie, mais bien une nouvelle incarnation de cette caste de milliardaires de la tech, désormais oligarques. Ces magnats mettent leur puissance financière et leurs plateformes au service d’une droite qui voit dans la vérité un obstacle à abattre. Il n’y a qu’à observer la trajectoire de Mark Zuckerberg : autrefois champion d’une modération prudente sur ses plateformes, il est devenu un «fervent conservateur», démantelant le système de vérification des faits de Meta. Désormais, on l’imagine volontiers prêt à troquer son t-shirt pour une chemise de camouflage, un pick-up et un fusil à pompe.
Elon Musk, avec son empire numérique en expansion, incarne cette nouvelle menace. Depuis son acquisition de X (anciennement Twitter), il a montré qu’il n’hésitait pas à transformer une plateforme sociale en une machine de propagande au service de ses intérêts politiques. Si TikTok, avec ses 170 millions d’utilisateurs actifs aux États-Unis, tombait sous sa coupe, ce serait une arme d’influence massive, capable de manipuler les jeunes générations et de polariser encore davantage la société.
Une centralisation toxique du pouvoir numérique
En transférant TikTok à Musk, l’Amérique chercherait peut-être à éviter une ingérence chinoise, mais elle risquerait d’en créer une autre, tout aussi dangereuse. Contrôler deux des plus grandes plateformes sociales mondiales conférerait à Musk une influence démesurée, difficilement régulable. Déjà omniprésent dans les secteurs de l’énergie, des communications et des transports, Musk concentrerait un pouvoir numérique inédit, au détriment du pluralisme et de la démocratie.
Une crise géopolitique en gestation
Cette vente pourrait également exacerber les tensions géopolitiques entre les États-Unis et la Chine. Actuellement symbole des rivalités entre ces deux superpuissances, TikTok deviendrait un levier stratégique entre les mains de Musk, dont les activités en Chine avec Tesla rendent la situation encore plus complexe. Une acquisition par Musk pourrait être perçue comme une prise de contrôle stratégique, rééquilibrant dangereusement les rapports de force en matière de souveraineté numérique.
En cherchant à résoudre la menace d’une ingérence chinoise, les États-Unis ouvrent la porte à une centralisation numérique qui pourrait être encore plus déstabilisante. Entre la Chine et Elon Musk, entre la manipulation algorithmique et la polarisation politique, le choix pour TikTok – et ses utilisateurs – ressemble tristement à un dilemme sans issue : la peste ou le choléra.