Au Québec, on aime se dire débrouillards, créatifs, capables de faire beaucoup avec peu. Et parfois, c’est vrai au-delà de nos propres attentes. Dans l’ombre des Silicon Valley et autres pôles technos, des inventeurs d’ici ont lancé des idées qui allaient marquer le monde entier. Du son de nos premiers jeux PC aux effets spéciaux hollywoodiens, en passant par les roues électriques, les vélos urbains et le cœur des superordinateurs, le Québec a su briller. À l’occasion de la fête nationale, MinuteTech vous propose une virée dans ce patrimoine techno méconnu, mais ô combien fascinant.
AdLib : la révolution sonore née à l’Université Laval
Pour la majorité des gens qui ont vécu les années 1980, AdLib, c’est d’abord le nom d’une populaire émission de variétés animée par Jean-Pierre Coallier sur les ondes de TVA. Mais dans le petit monde de l’informatique, au même moment, un autre AdLib faisait du bruit, et pas à peu près. Né dans un laboratoire de l’Université Laval sous l’impulsion du professeur de musique Martin Prével, le projet a mené à la création de la première carte de son grand public pour ordinateurs compatibles IBM PC. Grâce à elle, les ordinateurs sont passés des bips monotones à des sons synthétisés riches et nuancés. Une invention d’ici, qui allait révolutionner l’expérience des jeux vidéo sur PC partout sur la planète.

Faits saillants :
- L’entreprise AdLib Inc. a été fondée à Québec par Martin Prével, professeur à la faculté de musique de l’Université Laval .
- La carte utilisait une puce Yamaha YM3812, mais le design, l’intégration logicielle et l’approche novatrice venaient de chez nous .
- Elle a dominé le marché de 1987 à 1991, devenant le standard sonore des jeux PC sous MS-DOS .
- des titres phares comme King’s Quest IV, Leisure Suit Larry et Doom offraient tous un « mode AdLib » .
- La Sound Blaster de Creative Labs, lancée en 1989, a copié le standard AdLib tout en y ajoutant l’audio numérisé et d’autres fonctions, ce qui a mené au déclin rapide de la carte québécoise .
- La tentative de relance avec l’AdLib Gold, plus avancée techniquement, ne suffit pas à inverser la tendance .
- En 1992, AdLib Inc. déclare faillite ; ses actifs sont rachetés par la firme Binnenalster GmbH d’Allemagne, qui relance la marque sous le nom AdLib Multimedia .
- En 1994, l’entreprise est revendue à Softworld Taiwan, qui met fin à l’aventure : le nom AdLib disparaît définitivement.
Révolution d’Hollywood made in Jonquière
Jurassic Park, Titanic, Terminator 2, Le Seigneur des anneaux… tous ces films marquants ont un point en commun : ils ont été façonnés à l’aide de Softimage, un logiciel d’animation 3D conçu ici même, au Québec. Fondée à Montréal en 1986 par Daniel Langlois, un visionnaire originaire de Jonquière et formé à l’animation à l’ONF, l’entreprise Softimage a enclenché une véritable révolution dans le monde du cinéma numérique. Son objectif était simple et ambitieux : offrir aux artistes et aux studios un outil complet pour modéliser, animer et rendre des univers numériques. Pari tenu. Pendant un moment, grâce à Softimage, Montréal est devenue la capitale mondiale de l’image de synthèse.


Faits saillants :
- Daniel Langlois, originaire de Jonquière, fonde Softimage à Montréal en 1986 .
- Le logiciel Softimage 3D devient rapidement un outil phare utilisé par Hollywood pour des films comme Jurassic Park, Titanic, Star Wars: Episode I, et Le Seigneur des anneaux .
- Microsoft rachète l’entreprise en 1994, séduit par son potentiel technologique dans le domaine des effets visuels .
- En 1998, Softimage passe aux mains d’Avid Technology, qui développe Softimage|XSI, un outil influent aussi dans l’univers du jeu vidéo .
- En 2008, Softimage est acquis par Autodesk, qui intègre ses innovations dans Maya et 3ds Max .
- En 2014, Autodesk met fin au développement de Softimage, refermant une page glorieuse de notre techno-histoire.
Le nom de Daniel Langlois résonne encore aujourd’hui dans les milieux créatifs du monde entier. Sa vie s’est malheureusement terminée tragiquement en 2023, alors qu’il a été retrouvé sans vie aux côtés de son épouse en Dominique. Mais son œuvre, elle, continue d’habiter les plus grandes créations numériques de notre époque. Et ici, au Saguenay, on se souvient qu’avant de conquérir Hollywood, c’était un gars de chez nous.
Le moteur-roue : quand Hydro-Québec rêvait d’électrifier le monde
À une époque où les véhicules électriques étaient encore perçus comme des curiosités réservées aux voiturettes de golf, un ingénieur visionnaire de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ), Pierre Couture, proposait une idée aussi simple que brillante : intégrer le moteur directement dans la roue. C’était en 1994, et le moteur-roue québécois venait de naître. En retirant la transmission, les différentiels et une foule de pièces mécaniques, on obtenait une propulsion électrique plus efficace, plus légère et moins énergivore.
Mais l’idée est arrivée trop tôt. Les batteries de l’époque étaient lourdes, coûteuses et peu performantes, ce qui limitait le potentiel commercial du moteur-roue. Hydro-Québec abandonne officiellement le projet en 1995, laissant derrière un sentiment d’inachevé. Pourtant, le moteur-roue était une invention en avance sur son temps, saluée dans les milieux scientifiques pour sa simplicité et son efficacité.
Même si le projet original fut abandonné, la société d’État a tout de même capitalisé sur ce savoir-faire en lançant TM4, une filiale spécialisée dans les moteurs électriques pour véhicules commerciaux et industriels. Aujourd’hui encore, les moteurs issus de cette technologie québécoise roulent sur les routes de plusieurs continents.
Le moteur-roue est devenu un symbole fort : celui d’un génie québécois trop vite remisé, mais qui, en silence, continue d’alimenter le mouvement mondial vers l’électrification.
Vélo libre-service
Au moment de son lancement à Montréal en 2009, BIXI n’était pas qu’un simple système de vélos en libre-service : c’était une innovation technologique complète, conçue et pensée ici, au Québec. Avec son réseau de stations automatisées, sa plateforme logicielle intégrée et ses vélos ultra résistants, BIXI a rapidement été salué comme l’un des systèmes de transport urbain les plus avancés au monde.

Ce n’est pas un hasard si des villes comme New York, Londres, Chicago, Toronto ou Melbourne ont adopté ou adapté le modèle québécois. BIXI a littéralement redéfini la mobilité douce dans les grandes villes. Son efficacité, sa modularité et sa simplicité d’utilisation en ont fait un modèle exportable.
Faits saillants :
- BIXI a été lancé à Montréal en 2009, devenant le premier système de vélopartage intégré en Amérique du Nord .
- Le système comprend des stations solaires, un système d’ancrage modulaire, une plateforme logicielle de gestion en temps réel et un modèle d’exploitation sans bornier .
- Les vélos BIXI sont conçus et fabriqués par Cycles Devinci à Chicoutimi, un chef de file québécois du vélo depuis plus de 30 ans .
- Ces vélos se distinguent par leur robustesse, leur résistance au vol et leur conception sans chaîne apparente .
- En date de 2023, plus de 100 000 vélos BIXI ont été produits pour une quinzaine de villes dans le monde .
- BIXI Montréal est aujourd’hui un modèle d’exportation technologique québécoise et un symbole fort de transport durable.
Plus qu’un vélo, BIXI est un écosystème urbain intelligent, né ici et adopté ailleurs. Et au cœur de cette réussite : un vélo de Chicoutimi qui roule partout dans le monde.
Ces inventions n’ont pas toutes survécu. Certaines ont été dépassées, rachetées ou carrément oubliées. D’autres ont conquis le monde, parfois discrètement, comme un logiciel tournant en coulisse ou un vélo en libre-service dans une grande ville étrangère. Mais une chose est claire : le génie québécois existe bel et bien. Et il mérite d’être raconté, enseigné, transmis. Pour que les prochaines révolutions ne s’éteignent pas dans l’ombre, mais qu’elles naissent, s’enflamment et roulent fièrement, ici comme ailleurs.