Génération sacrifiée par l’IA ? L’écart grandissant entre les diplômés et le marché du travail

Steeve Fortin
Par
Steeve Fortin - Éditeur

Lors d’un entretien avec Jenni Troutman, directrice des programmes de formation et de certification chez Amazon Web Services (AWS), une chose est apparue très clairement : pendant que l’école réfléchit encore à comment enseigner l’intelligence artificielle, l’industrie l’utilise déjà au quotidien. Et pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, l’écart se creuse dangereusement.

Des milliers de diplômés quittent chaque année les cégeps et les universités du Québec avec l’espoir de décrocher un premier emploi dans leur domaine. Mais une fois sur le marché, ils découvrent une autre réalité : les tâches de niveau débutant n’existent plus vraiment, automatisées, simplifiées, confiées à des algorithmes ou à des outils d’aide à la décision. Aujourd’hui, on embauche pour livrer, pas pour apprendre. Face à cette mutation rapide, le système d’éducation peine à suivre. Et pendant qu’on se demande comment enseigner l’IA, les entreprises, elles, l’utilisent déjà pour produire, recruter et décider.

L’IA redéfinit le travail de début de carrière

Les jeunes qui sortent de l’école ont de plus en plus de mal à se trouver un boulot, et ce n’est pas juste une impression. Le taux de chômage chez les 15 à 24 ans a grimpé à 6,6 %, le plus haut niveau en dix ans, pandémie exclue. Pourtant, des postes techniques existent, et en plus grand nombre. Le problème, c’est qu’ils ont changé de nature. L’intelligence artificielle a avalé les tâches de base, celles qu’on confiait autrefois aux débutants. Résultat : de 50 à 55 % des charges de travail en début de carrière sont maintenant augmentées par l’IA. Ce n’est pas un scénario futur, c’est ce qui se passe déjà. Les nouveaux arrivants doivent livrer des analyses en quelques heures, participer à des projets complexes dès leur premier jour. On leur demande d’avoir des réflexes technologiques que personne ne leur a encore vraiment enseignés.

Un modèle trop lent

À la vitesse où l’intelligence artificielle évolue, le système d’éducation semble condamné à courir deux pas en arrière. Pendant que les cégeps et les universités débattent de nouvelles grilles de cours, les outils changent déjà. Ce n’est plus une question de contenu pédagogique, c’est une question de rythme. Or, si les jeunes veulent trouver leur place dans ce monde technologique qui n’attend personne, il va falloir qu’on arrête de former pour le passé. Selon une étude menée par AWS, 77 % des employeurs canadiens ont du mal à recruter du personnel qualifié en intelligence artificielle, alors même qu’ils sont prêts à payer une prime de 25 % pour les bons profils. Le marché est prêt, les talents sont là, mais la passerelle entre les deux est branlante. Est-ce qu’il ne serait pas temps de bâtir cette passerelle avec ceux qui tiennent les outils?

Des ponts entre l’école et l’industrie

Jenni Troutman ne prétend pas que l’école peut tout faire, ni que l’industrie a toutes les réponses. Mais entre les deux, il y a un espace à combler. Directrice des programmes de formation et de certification chez Amazon Web Services (AWS), elle travaille à bâtir des ponts. Lors d’un entretien à distance, alors qu’elle était de passage à Montréal pour l’événement All In, elle m’a expliqué que son mandat consiste à outiller les gens, peu importe où ils en sont dans leur parcours, pour leur permettre d’acquérir les compétences technologiques recherchées. Chez AWS, elle pilote une stratégie mondiale qui mise sur l’apprentissage continu, la microcertification, et des parcours modulables conçus pour coller au plus près des réalités du marché.

La technologie change si vite, qu’avant, nous sortions une version mise à jour de l’examen tous les deux ans. Maintenant, nous changeons les questions tout le temps pour nous assurer qu’elles sont à jour..

Jenni Troutman Directrice des programmes de formation et de certification chez Amazon Web Services (AWS)

Un apprentissage qui suit le rythme de la tech

Pour combler ce fossé, AWS mise sur une offre en couches, à la carte. D’abord, une plateforme numérique, Skill Builder, qui propose plus de 600 cours en ligne gratuits, accompagnés de laboratoires interactifs et de simulations. Ensuite, des parcours balisés vers des certifications reconnues, conçus pour des rôles spécifiques, comme celui d’analyste de données junior, un poste dont les offres d’emploi ont bondi de 16 % en un an, selon Jenni Troutman. Enfin, des programmes ciblés comme Re/Start, une formation intensive de 12 semaines pensée pour les personnes sans expérience technique. « Ce qu’on essaie de faire, c’est d’amener les gens du point de départ jusqu’à l’emploi, et de les connecter à des employeurs », précise-t-elle. Et depuis juillet, les étudiants inscrits dans les établissements partenaires d’AWS Academy au Canada ont aussi accès gratuitement à l’abonnement complet de Skill Builder pendant un an. Ça veut dire se former à son rythme, chez soi, dans sa langue, avec des outils qui reflètent le marché. Sur papier, le modèle est attrayant, mais reste à voir combien d’étudiants québécois y ont réellement accès, et s’ils y trouvent une voie concrète vers un emploi durable.

À propos de Jenni Troutman

Jenni Troutman dirige les produits et services de formation chez Amazon Web Services (AWS), où elle pilote une stratégie mondiale axée sur le développement de compétences en infonuagique et en intelligence artificielle. Son mandat : rendre ces apprentissages accessibles à tous les niveaux, avec des outils pratiques, flexibles et peu coûteux. Avant de se joindre à AWS, elle a œuvré comme consultante en stratégie chez Accenture, puis chez VMware, où elle a accompagné des équipes dans l’adoption de modèles de vente axés sur la valeur. Son parcours l’a menée de la programmation à la gestion opérationnelle, avec un fil conducteur : l’éducation comme levier de transformation. Elle est basée à Houston, au Texas.

Des établissements québécois déjà embarqués

L’AWS Academy est déjà offerte dans plusieurs établissements québécois, ce qui permet aux étudiants d’avoir accès à du contenu de formation en intelligence artificielle et en infonuagique directement lié aux besoins du marché. L’Université du Québec à Chicoutimi figure parmi les membres, tout comme l’École de technologie supérieure, le Collège de Bois-de-Boulogne, le Collège de Rosemont, le Cégep de l’Outaouais, le Cégep Marie-Victorin, et plusieurs autres. Le programme propose des ressources pédagogiques que les enseignants peuvent intégrer dans leurs cours, avec l’objectif de réduire l’écart entre les formations traditionnelles et les compétences recherchées en entreprise.

Former pour le futur, ce n’est plus une métaphore, c’est une urgence. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail aujourd’hui doivent manœuvrer dans un monde transformé par l’intelligence artificielle, où les automatismes remplacent les étapes d’apprentissage d’hier. Les écoles tentent de suivre, mais elles ne peuvent tout faire seules. En face, des géants comme AWS proposent des solutions plus agiles, plus rapides, plus proches du terrain. L’avenir ne passera peut-être pas par un choix entre l’école et l’industrie, mais par une collaboration franche, où chaque partie accepte de jouer son rôle pour que la prochaine génération ne soit pas formée pour un monde qui n’existe déjà plus.

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