AWS re:Invent 2025 : la souveraineté numérique vue du Canada

Steeve Fortin
Par
Steeve Fortin - Éditeur
8 minutes de lecture

Le re:Invent d’AWS attire chaque année une foule de spécialistes du numérique à Las Vegas. C’est l’endroit où l’entreprise dévoile ses nouveautés en infonuagique et en intelligence artificielle. Parmi les voix canadiennes présentes sur place, Martin Bazinet occupe un rôle particulier. Responsable de l’architecture de solutions pour AWS Canada, il accompagne les organisations qui veulent moderniser leurs systèmes tout en gardant un contrôle réel sur leurs données. Et, cette année, le sujet revenait constamment dans les corridors : la souveraineté numérique.

Note de transparence

Mes frais de voyage et mon hébergement ont été couverts par AWS Canada. L’entreprise n’exerce toutefois aucun droit de regard sur le contenu de ce reportage.

Lors de notre entretien, M. Bazinet n’a pas cherché à minimiser la réalité. « Lorsqu’on regarde la souveraineté des données […] pour nous, c’est clair que les données des clients restent au Canada », affirme-t-il. Ce questionnement n’est plus théorique. Les tensions politiques entre Ottawa et Washington poussent désormais les organisations à revoir leurs pratiques et à demander des garanties plus concrètes. Elles veulent savoir où vont leurs données, qui peut y accéder et comment les fournisseurs peuvent assurer qu’elles ne franchissent pas la frontière.

AWS mise justement sur son implantation canadienne pour répondre à ces attentes. Les régions de Montréal et de Calgary comptent chacune trois zones de disponibilité. « Les données restent au Canada, physiquement son temps comme ça là. On a notre réseau de fibre canadienne », précise-t-il. Cette liaison directe entre les deux régions évite tout transit par les États-Unis, un point souvent soulevé par les clients qui s’interrogent sur les implications du Cloud Act.

La sécurité, rappelle-t-il, est partagée. AWS protège l’infrastructure de base, mais les organisations restent responsables de ce qu’elles déploient dans leurs environnements. « Nous, on gère la sécurité du cloud. Les clients sont responsables de la sécurité de ce qui est dans le cloud », dit-il. Lorsqu’une fuite survient, la cause est rarement l’infrastructure. Elle se trouve plutôt dans un accès mal géré ou une configuration qui n’a pas été revue.

« Nous, on gère la sécurité du cloud. Les clients sont responsables de la sécurité de ce qui est dans le cloud »,

Martin Bazinet AWS Canada

L’autre volet qui retient l’attention concerne la capacité du pays à accueillir des projets d’intelligence artificielle de grande envergure. AWS opère déjà ses propres puces dans ses centres de données canadiens. « Ça fait plusieurs années qu’on développe nos propres puces […] On a Graviton, et on a développé Trainium pour entraîner les modèles d’intelligence artificielle », explique-t-il. Ceux qui préfèrent travailler avec du matériel Nvidia peuvent aussi le faire, tout comme ils peuvent accéder aux modèles d’IA offerts par AWS.

L’arrivée de Bedrock au Canada, souligne-t-il, a aussi changé la dynamique. Les organisations réglementées peuvent maintenant utiliser des modèles génératifs tout en restant dans les régions canadiennes. Les données ne quittent pas le pays, et les appels aux modèles sont traités sous juridiction canadienne, que l’on choisisse Montréal ou Calgary.

Pour M. Bazinet, l’exercice va au-delà de la technologie. Son rôle consiste à clarifier ce qui est réellement possible au Canada et à aider les équipes qui veulent profiter de l’infonuagique sans perdre la maîtrise de leurs informations. Les discussions qu’il mène montrent que la localisation des données et le fonctionnement réel des infrastructures pèsent maintenant aussi lourd que le choix de l’outil lui-même.

AWS Canada c’est quoi ?

Amazon Web Services (AWS) est l’offre infonuagique la plus exhaustive et la plusutilisée au monde, avec plus de 240 services intégrés. Des millions de clients, dont des entreprises en démarrage des plus dynamiques, des multinationales et des agencesgouvernementales, utilisent AWS pour réduire leurs coûts, améliorer la sécurité,gagner en agilité et accélérer l’innovation.

Au Canada, les clients qui utilisent AWS comprennent Bell Canada, Brookfield,
BlackBerry, la Banque de Montréal, CAE, CI Financial, KOHO Financial, Maple Leaf
Sports & Entertainment (MLSE), la Banque nationale du Canada, Ressources naturelles
Canada (RNCan), Neo Financial, Nutrien, RBC, SECURE, Sun Life, TELUS, l’Université de
Calgary et bien d’autres encore.

Comment devernir numériquement souverains ?

Au-delà de l’entrevue, une question demeure : que signifie réellement devenir souverains sur le plan numérique? Voici mon point de vue.

Selon moi, souveraineté numérique n’est vraiment pas une mince affaire. L’expression revient souvent dans le débat public, parfois accompagnée de grands titres indignés parce que des ministères et des organismes québécois ou canadiens utilisent les services de géants américains. Cette lecture, bien qu’intuitive, ne tient pas compte de la réalité technique. L’infonuagique ne se résume pas à la construction de centres de données. Même si nous bâtissions demain les installations les plus imposantes au monde, cela ne suffirait pas pour se libérer complètement des grands fournisseurs internationaux.

Le développement des outils technologiques, particulièrement en intelligence artificielle, se fait aujourd’hui à coups de centaines de milliards de dollars par année. Aucun gouvernement et aucune entreprise canadienne ne peut soutenir une telle cadence. C’est cette échelle, financée et maintenue en continu, qui permet aux plateformes comme AWS d’offrir des services évolutifs, sécurisés et compétitifs, capables de suivre un marché qui se transforme presque chaque trimestre. La souveraineté numérique, dans ce contexte, n’est pas pour demain. Elle demande du temps, des ressources et une maturité technologique que peu d’acteurs nationaux peuvent assumer seuls.

L’annonce récente des AWS AI Factories illustre bien cette réalité. Cette approche permet aux organisations de bénéficier d’une infrastructure d’IA complète, déployée directement dans leurs propres centres de données, avec des GPU NVIDIA, des puces Trainium et les services d’IA d’AWS comme Bedrock et SageMaker. Pour les organisations soumises à des exigences strictes de souveraineté des données, c’est un modèle hybride qui pourrait changer plusieurs habitudes. On conserve l’hébergement local, mais on accède à des technologies qui seraient autrement inatteignables, autant sur le plan financier que technique.

C’est précisément là que se situe l’enjeu. La souveraineté numérique demeurera une aspiration tant que les outils nécessaires pour l’atteindre exigeront une échelle industrielle que nous n’avons pas. En attendant, des solutions comme celles d’AWS permettent d’offrir un accès équitable à cette puissance technologique mondiale, tout en respectant les cadres réglementaires locaux. À défaut d’une souveraineté complète, c’est peut-être la voie la plus réaliste pour un pays comme le Canada.

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