Aujourd’hui, les écrans se sont imposés dans le quotidien de nos jeunes. Si, autrefois, la télévision régnait en maître dans les foyers, les téléphones intelligents et les réseaux sociaux ont maintenant pris le contrôle, s’immisçant dans chaque aspect de la vie. Que ce soit à la maison, à l’école ou même dans les lieux publics, rares sont les moments où l’on voit un jeune sans un écran sous les yeux, et cela commence de plus en plus tôt. Ce qui, à l’origine, n’était qu’un simple outil de communication est devenu une machine redoutable pour capter et retenir l’attention. Mais derrière cette apparence inoffensive se cachent des effets bien réels et inquiétants sur la santé mentale et le développement des jeunes. Il est donc temps de se demander : à quel prix la prochaine génération est-elle en train de grandir sous l’emprise des écrans et des algorithmes?
Dans les années 50, fumer était synonyme de sophistication. Des célébrités avec une cigarette à la main nous vendaient cette image de succès, et la société entière y croyait. Mais au fil du temps, les effets dévastateurs du tabagisme sur la santé sont devenus évidents. Aujourd’hui, nous faisons face à une nouvelle dépendance, tout aussi insidieuse : celle des réseaux sociaux et des technologies. Est-ce un hasard si certains les comparent au « tabac du 21e siècle »?
En avril 2023, j’ai publié une chronique dans les journaux des Coop de l’information où je faisais exactement ce parallèle entre les réseaux sociaux et l’industrie du tabac. J’y écrivais que « les réseaux sociaux, par le truchement du téléphone intelligent/ordinateur de poche, sont addictifs, et le parallèle avec l’industrie du tabac est intéressant, car ils exploitent les vulnérabilités humaines pour promouvoir leurs produits. » À l’époque, ce constat me préoccupait déjà, et les données récentes ne font que renforcer cette inquiétude.
Une exposition précoce et massive aux réseaux sociaux
Les jeunes sont exposés aux réseaux sociaux de plus en plus tôt. Une étude de l’organisme HabiloMédias, publiée lors de la pandémie, révèle que 86 % des enfants âgés de 9 à 11 ans disposent d’un compte sur une plateforme qui exige pourtant un âge minimum de 13 ans. Pire encore, 77 % de ces enfants possèdent déjà leur propre téléphone intelligent. Ces données confirment que YouTube, TikTok et Instagram sont omniprésents dans leur quotidien, des plateformes où l’on passe de plus en plus de temps sans réelle supervision parentale.
Le cerveau des jeunes, une proie facile
Le parallèle avec l’industrie du tabac est plus pertinent que jamais. Si autrefois les cigarettiers exploitaient la dépendance à la nicotine, aujourd’hui, les géants des technologies captent l’attention des jeunes par des algorithmes sophistiqués, conçus pour maintenir l’utilisateur captif. Comme je le notais en avril 2023, « les utilisateurs des réseaux sociaux reçoivent des mentions, des « j’aime », des vues, des commentaires positifs ou tout simplement du nouveau contenu à visionner », un peu comme un chien à qui l’on donne une friandise pour qu’il continue à obéir.
L’une des principales préoccupations est l’effet des réseaux sociaux sur le développement du cerveau chez les adolescents. Des recherches montrent que l’amygdale et le cortex préfrontal, deux régions critiques pour la gestion des émotions et le contrôle des impulsions, sont particulièrement affectés par l’exposition aux réseaux sociaux à un âge précoce. Cela peut augmenter la sensibilité aux récompenses sociales (comme les mentions « j’aime ») et aux punitions (comme le rejet), tout en diminuant la capacité à réguler ses émotions et ses impulsions.
En fait, une étude de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) a montré que ces interactions sociales numériques activent les mêmes régions du cerveau que celles stimulées par la consommation de drogues. Cette étude mentionne que les «mentions j’aime» activent les centres de gratification du cerveau des adolescents, mimant ainsi les schémas de dépendance observés chez les toxicomanes. Ce phénomène renforce l’utilisation compulsive des réseaux sociaux, particulièrement chez les jeunes dont le cerveau est encore en plein développement. Le plus inquiétant c’est que cette étude date de 2016, avant l’arrivée de Tik Tok qui est désormais le roi incontesté de la dépendance alors que Facebook est désormais un réseau considéré comme ringard auprès des jeunes.
Tik Tok, une drogue sous-estimée
L’algorithme de TikTok est souvent cité comme l’une des raisons principales du succès massif de la plateforme, notamment auprès des jeunes. Contrairement aux autres réseaux sociaux qui se concentrent principalement sur les interactions sociales entre amis ou abonnés, TikTok utilise un système de recommandations hyper personnalisé qui exploite les données comportementales des utilisateurs pour offrir un flux infini de contenu vidéo. Le cœur de l’algorithme réside dans sa capacité à analyser en temps réel les interactions de l’utilisateur : combien de temps il passe sur une vidéo, s’il la regarde jusqu’à la fin, s’il l’aime, la commente, ou la partage. Chaque action ou inaction alimente le système pour affiner les suggestions dans l’onglet « Pour Toi ».
Ce mécanisme renforce un comportement addictif, car les vidéos proposées correspondent de plus en plus aux goûts personnels de l’utilisateur, rendant difficile l’arrêt du défilement. Ce flux constant de contenus adaptés à leurs préférences stimule leur système de récompense cérébral, encourageant ainsi un comportement compulsif.
Cette personnalisation extrême de TikTok favorise aussi des tendances virales, puisque les vidéos peuvent devenir populaires très rapidement, même si elles sont postées par des utilisateurs avec peu d’abonnés. Cette dynamique attire les jeunes qui cherchent à gagner rapidement en visibilité, exacerbant ainsi des problèmes de validation sociale et d’anxiété de performance.
Le rôle crucial des parents
Les parents, quant à eux, jouent un rôle crucial dans cette dépendance numérique. Tout comme il était normal, il y a 50 ans, de voir des enfants de 12 ans fumer en imitant leurs parents, aujourd’hui, ce sont les écrans qui prennent le dessus dans les foyers. Les parents eux-mêmes sont souvent happés par la spirale technologique, rendant difficile la mise en place de limites pour leurs enfants.
L’American Academy of Pediatrics recommande aux jeunes de 6 à 18 ans de ne pas dépasser deux heures par jour d’écrans récréatifs. Pourtant, cette recommandation est rarement suivie et personnellement, en tant que parent, j’ai ma part de responsabilité alors que ma fille de 9 ans me demande de plus en plus souvent la permission d’utiliser son téléphone; oui, elle a un téléphone, père indigne que je suis … Elle est encore jeune et je tente tant bien que mal de limiter ce temps d’utilisation des écrans, mais parfois, avec le rythme effréné qu’impose la vie, je lâche prise et je lui permets d’utiliser son téléphone en espérant de pas construire une éventuelle dépendance, mais les algorithmes ont probablement déjà jeté leurs griffes sur le cerveau de ma fille.
En tant que parent, je ne peux pas me cacher éperdument la tête dans le sable et blâmer les géants du web d’avoir pris en otage le cerveau de ma fille, quand mon propre cerveau est déjà sous le contrôle des algorithmes addictifs. Je suis probablement un fort mauvais exemple pour ma fille, car j’ai cette mauvaise habitude de regarder trop souvent mon téléphone.
Comment réduire le temps d’écran ?
Réduire le temps d’écran, surtout chez les jeunes, est devenu une priorité compte tenu des impacts négatifs de l’exposition prolongée aux réseaux sociaux et aux appareils électroniques.
1- Établir des limites claires
Il est essentiel de fixer des règles précises concernant l’utilisation des écrans à la maison. Cela peut inclure des limites de temps quotidiennes (par exemple, pas plus de deux heures d’écrans récréatifs par jour, conformément aux recommandations de l’American Academy of Pediatrics). Les périodes sans écran, comme à table ou avant le coucher, sont également importantes pour limiter la dépendance numérique.
2- Créer des zones sans technologie
Mettre en place des espaces ou des moments spécifiques de la journée où l’utilisation des écrans est interdite (comme pendant les repas ou avant de se coucher) favorise un environnement où les interactions sociales et familiales sont privilégiées.
4- Encourager des activités hors ligne
Proposer des alternatives attractives pour réduire le temps d’écran est essentiel. Cela peut inclure des activités sportives, des jeux de société, ou des sorties en plein air. Plus ces alternatives sont intéressantes, plus il est facile pour les jeunes de décrocher des écrans.
5- Limiter le temps d’écran via les contrôles parentaux
Les systèmes d’exploitation iOS et Android intègrent des outils pour gérer le temps d’écran. Apple Temps d’écran permet de surveiller et de limiter l’utilisation des applications, d’imposer des heures de coucher où les notifications sont désactivées, et de bloquer certaines applications après un certain temps d’utilisation. Google Family Link offre des fonctionnalités similaires, permettant aux parents de contrôler à distance les appareils des enfants, de définir des limites quotidiennes d’utilisation et de consulter des rapports d’activité.
6- Sevrage progressif
Le sevrage numérique consiste à réduire progressivement le temps passé sur les écrans pour éviter un choc brutal. Il est recommandé d’y aller étape par étape, en réduisant progressivement le temps passé sur certaines applications ou en augmentant les moments d’inactivité numérique. Les experts recommandent de commencer par identifier les applications les plus chronophages, puis de fixer des limites progressives. Par exemple, réduire l’utilisation de TikTok de 2 heures à 1 heure par jour, puis 30 minutes. Je dois vous avouer que c’est plus facile à écrire qu’à faire !
Même le gouvernement s’en mêle…
La Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux chez les jeunes a lancé une vaste réflexion pour mieux comprendre les répercussions des nouvelles technologies sur le développement des enfants et des adolescents au Québec. Cette commission, composée de membres issus de plusieurs partis politiques, aborde les thèmes complexes de l’exposition aux écrans à l’école, de l’accès aux réseaux sociaux, des risques associés aux jeux vidéo, et des enjeux liés à la cyberintimidation et aux contenus illicites. Les parlementaires se sont engagés à proposer des solutions concrètes, en consultant non seulement les spécialistes, mais aussi les jeunes eux-mêmes à travers des visites d’écoles. L’objectif : établir des recommandations qui tiennent compte de la réalité numérique tout en assurant un encadrement pour protéger les jeunes. Comme le souligne le document de consultation, il est essentiel de reconnaître que la nature du contenu consommé et les habitudes d’utilisation des écrans, tant à l’école qu’à la maison, sont au cœur des préoccupations de cette commission. Je ne sais pas quel sera l’impact de cette commission car que selon moi, il sera impossible de réguler les géants du web qui ont prouvé à maintes reprises leur capacité à se foutre des lois et règlements nationaux. Malgré toute la bonne volonté du gouvernement du Québec, cette commission ne servira qu’à constater l’ampleur du problème, sans toutefois être en mesure de trouver de véritables solutions efficaces à ce qui est d’ores et déjà un enjeu de santé publique.
Une prise de conscience collective nécessaire
L’impact des réseaux sociaux sur la santé mentale des jeunes ne peut plus être ignoré. À l’instar du tabac il y a 70 ans, il faudra probablement des années pour que l’ensemble de la société comprenne l’ampleur de cette crise. Mais les données actuelles, tout comme celles que j’avais soulignées dans ma chronique d’avril 2023, nous montrent clairement que le danger est réel. Nous avons une responsabilité collective envers nos enfants et nos adolescents pour les protéger des effets dévastateurs de ces plateformes.
Liens et références utiles
Journal le Quotidien : Les réseaux sociaux le tabac du 21e siècle
UCLA : Étude sur l’impact des réseaux sociaux sur le cerveau des adolescents
Habilo Media: Étude sur l’utilisation des réseaux sociaux chez les enfants
Statistique Canada étude sur Utilisation des médias sociaux chez les adolescents et son association avec les relations et les liens interpersonnels : Enquête sur les comportements de santé des jeunes d’âge scolaire au Canada, 2017-2018