Pendant que les États-Unis forcent ByteDance à céder TikTok à des intérêts locaux et que l’Europe multiplie les règlements pour reprendre le contrôle de son espace numérique, le Canada lui hésite. En novembre dernier, le gouvernement Trudeau a ordonné la dissolution des activités canadiennes de TikTok, citant des risques pour la sécurité nationale. Mais cette décision est aujourd’hui contestée devant les tribunaux par l’entreprise chinoise et l’application demeure accessible à tous. Résultat : TikTok continue d’opérer au pays comme si de rien n’était, avec un algorithme conçu et contrôlé à Pékin. Entre la posture politique et l’absence de résultats concrets, le Canada montre une fois de plus qu’il ne tient pas la barre de son avenir numérique, il se contente de suivre la vague.
Alors que la Cour suprême des États-Unis a confirmé une loi fédérale interdisant TikTok à moins que ByteDance ne vende l’application, Ottawa n’a rien de comparable à offrir. Aucune loi, aucune stratégie claire, aucune vision ne permet de dire comment le Canada entend gérer ses propres dépendances numériques. On se contente d’interdictions symboliques, comme bannir l’application des téléphones fournis aux employés fédéraux, pendant que les citoyennes et citoyens continuent d’y accéder librement. Le contraste est frappant. D’un côté, Washington impose un cadre coercitif qui redessine la gouvernance de l’application. De l’autre, le Canada se contente d’une mesure cosmétique qui n’a aucun effet sur l’algorithme, les données ni la souveraineté numérique du pays.
Si ByteDance venait à céder TikTok USA et que la nouvelle entité américaine élargissait son influence au Canada, nos utilisateurs tomberaient alors sous la coupe de propriétaires choisis par Donald Trump et ses alliés. Est-ce que ce serait pour le meilleur ou pour le pire? La réponse se trouve peut-être déjà sous nos yeux. On n’a qu’à observer la prolifération de la haine et de la désinformation sur X, Facebook ou YouTube, des plateformes où la droite américaine a transformé la liberté d’expression en machine à propagande. Confier à ce même réseau d’investisseurs le soin de calibrer ce que verront les jeunes Canadiens sur leur fil TikTok, c’est accepter que notre espace numérique devienne une extension idéologique du trumpisme.
Le problème dépasse TikTok. Les géants du web contrôlent la quasi-totalité de l’écosystème numérique canadien. Malgré les lois entourant la protection des données, les gouvernements, entreprises et particuliers d’ici ne seront jamais entièrement à l’abri. Advenant un conflit avec nos voisins du Sud, rien n’empêcherait un gouvernement aux tendances autoritaires d’exiger l’accès aux données canadiennes, voire de couper le signal. Une bonne partie de nos infrastructures critiques repose déjà sur des services infonuagiques américains. Cela nous expose à un risque systémique : celui de voir nos communications, nos données et nos outils paralysés du jour au lendemain par des décisions qui nous échappent complètement.
Ce n’est sans doute qu’une question de temps avant que ByteDance USA, sous pression politique et judiciaire, ne passe complètement sous le contrôle américain. Le mouvement est déjà amorcé et Washington a les moyens de l’imposer. Pour l’instant toutefois, les utilisateurs canadiens demeurent liés à la maison mère en Chine. Ce statu quo ne change rien au problème de fond : notre espace numérique est toujours dépendant de décisions prises ailleurs, que ce soit à Pékin ou à Washington. Tant que le Canada n’aura pas développé une stratégie réelle de souveraineté numérique, nous resterons spectateurs d’un affrontement entre superpuissances qui décident à notre place du contenu que nous consommons et de l’avenir de nos plateformes.