Dans un silence aussi stratégique que complice, une poignée de milliardaires et de magnats conservateurs s’apprêtent à prendre les rênes de ce qui est aujourd’hui la machine d’influence la plus efficace du monde occidental, l’algorithme de TikTok. La vente orchestrée par Donald Trump, sous couvert de sécurité nationale, est en réalité un transfert de pouvoir algorithmique entre les mains de ses alliés politiques. Les nouveaux maîtres de l’application ne sont ni des acteurs neutres ni des philanthropes. Oracle, Silver Lake, MGX Capital, Andreessen Horowitz, la famille Murdoch et Michael Dell contrôlent tous des intérêts économiques, médiatiques ou géopolitiques qui gravitent autour de la droite trumpiste. Ensemble, ils contrôleront près de 80 % de la nouvelle entité américaine. Ce contrôle leur donnera accès à deux leviers d’une puissance redoutable, les données comportementales de plus de 170 millions d’Américains, et l’algorithme, cette main invisible qui façonne les idées, les pulsions, les colères et les votes. Ce n’est plus seulement une histoire d’application, c’est un coup d’État numérique qui s’organise devant nos yeux.
Qui sont les nouveaux maîtres de TikTok USA?

Larry Ellison (Oracle) : milliardaire californien, cofondateur d’Oracle, proche personnel de Donald Trump et donateur du Parti républicain. Sa compagnie hébergera les données américaines de TikTok.

Famille Murdoch : empire médiatique qui contrôle Fox News, le New York Post et le Wall Street Journal. Acteurs majeurs de la propagande conservatrice aux États-Unis. (Photo de Rupert Murdoch)

Michael Dell (Dell Technologies) : bien que moins engagé publiquement, son implication dans le rachat de TikTok suggère une volonté d’alignement avec les intérêts stratégiques du camp républicain dominant.
• Silver Lake : fonds d’investissement ayant des liens étroits avec MGX, un véhicule financier alimenté par des capitaux du Golfe, dont l’Abu Dhabi Investment Authority. Un levier d’influence géopolitique, bien plus qu’un simple investisseur.
• MGX Capital : bras financier basé aux Émirats arabes unis, partenaire stratégique des projets numériques liés à la sécurité et à l’intelligence artificielle.
• Andreessen Horowitz : fonds de capital-risque de la Silicon Valley. Ses dirigeants ont exprimé publiquement leur admiration pour le modèle trumpien de « disruption » politique.
Quand la censure change de camp
Alors que la Maison-Blanche fait pression sur ByteDance depuis la première mouture de l’administration Trump en 2020, sous prétexte de sécurité nationale, le discours a subtilement changé. À l’origine, il s’agissait de protéger les données des utilisateurs américains contre d’éventuelles intrusions du gouvernement chinois, ce qui pouvait sembler justifié. Mais en 2025, les motivations sont tout autres. L’objectif n’est plus de se prémunir contre une menace extérieure, mais bien de prendre le contrôle de l’algorithme de TikTok à des fins politiques. Ce que Washington reprochait jadis à Pékin, ce sont désormais les États-Unis eux-mêmes qui s’apprêtent à le faire.
Sous le vernis d’une opération de sécurité, l’administration Trump II pose un nouveau jalon dans sa marche vers un pouvoir autocratique. En s’assurant le contrôle de l’algorithme du média social le plus influent chez les jeunes, elle ne fait pas que gérer une application, elle s’arroge une arme culturelle et politique d’une puissance inégalée. Cette opération n’a rien d’anodin, elle s’inscrit dans une stratégie plus large de domination de l’espace numérique, là où se forge désormais l’opinion publique.
Protéger les données ou contrôler le message?
Pendant que l’administration Trump s’apprête à verrouiller TikTok de l’intérieur, elle ne fait que renforcer un empire médiatique qui lui est déjà acquis. X, l’ancien Twitter, est devenu un dépotoir algorithmique depuis qu’Elon Musk a démoli les garde-fous de modération. Facebook, qui jouait autrefois au pompier de la désinformation, alimente désormais les incendies dès qu’ils cliquent fort. Et sur YouTube, ce sont les contenus les plus criards, les plus faux, les plus dangereux qui grimpent en flèche. La vérité? Elle dérive quelque part au fond, étouffée par une marée d’opinions déguisées en faits, de narratifs recyclés, de complots prêts-à-penser.
Mais ce n’est pas une simple dérive technologique. C’est une stratégie. L’administration Trump est déjà en campagne, un an avant les élections de mi-mandat, avec un nouvel outil entre les mains, un canal direct de propagande et de manipulation algorithmique. Ce n’est plus une guerre de l’information, c’est une colonisation de l’imaginaire collectif.
Et le Canada? On regarde ça d’un œil inquiet, mais souvent passif. Il ne faut pas se leurrer. L’extrême droite américaine ne s’arrête pas aux lignes frontalières. Les fascistes, comme l’histoire nous l’a appris, ne se contentent jamais de leur cour arrière. Le rêve d’un 51e État, que Trump alimente dans ses cercles, n’a rien d’une lubie. C’est une ambition, documentée, répétée, partagée. Nous serons les prochains si nous ne comprenons pas que la souveraineté numérique est une question de survie culturelle et politique.